Bonne lecture !

Partie 1
Les deux filles blondes dépassèrent Coralie d’un pas souple, leur silhouette longiligne dansant devant elle.
Deux soeurs identiques. Copies conformes.
Ce que l’on appelait familièrement des jumelles.
La même longue queue de cheval nouée par un chouchou rose fluo pour les deux, battant en rythme à chaque pas,
habillées du même collant Nike de lycra noir, assorti à leurs gants, contrastant avec leur veste bleu ciel ou dansait une avantageuse poitrine libre et ferme.
Niveau seins, elle n’avait rien à leur envier. Ni pour la blondeur de ses cheveux ramenés en chignon grace à une pince épaisse.
En revanche, Coralie avait certainement une dizaine de kilos à perdre, ses hanches larges moulées par le taille L de son short blanc.
C’est pour cette raison qu’elle avait l’habitude de courir.
Tout le monde disait qu’elle avait une tête de secrétaire, accentuée par les lunettes épaisses à monture noire qu’elle portait constamment.
Cela faisait la troisième ou quatrième fois que la jeune fille les apercevait.
Elles étaient probablement dans la même tranche d’age qu’elle, la vingt-cinquième, et deux mois pour Coralie.
A chaque fois, c’était le même scénario : Les deux filles la dépassaient puis semaient leur poursuivante d’une course puissante et rapide.
Avec toujours le coup d’œil glacial de l’une d’elles, croisant leur regard, un bref instant, lorsqu’elles se trouvaient côte à côte.
Ensuite Coralie avait beau suivre leur rythme souple, elle se trouvait invariablement larguée.
Surtout en ce moment.
Les deux sœurs semblaient bien plus entrainées qu’elle.
De plus, Coralie peinait à rester concentrée sur son rythme.
Des questions tournaient et retournaient sans cesse, sans réponses.
Que pouvaient donc contenir ces fichiers contenus sur cette maudite carte-mémoire.
Indécriptables...
Elle crut marcher sur son lacet, butant brusquement avant un magnifique vol plané qui la jeta au sol accompagné d’un bref cri de surprise,
s’étalant de tout son long sur le gravier fin, souffle coupé.
- Ahhh... Vacherie...
Personne pour la voir chuter.
Il n’y avait pas un chat dans le parc Montsouris, désert pour une fois, à cette heure matinale.
Se retournant péniblement sur le dos afin d’évaluer les dégâts ressentis par une brulure cuisante des genoux,
Coralie aperçut le fil de nylon fin tendu traitreusement, brillant sous le feu du soleil levant.
La jeune fille souffla de soulagement en constatant que les deux jumelles revenaient vers elle pour lui porter secours au son de leurs tennis crissant sur le gravier.
- You’re ok ?...
- Oui, ça va ! Si je pouvais attraper le connard qui a tendu ce fil pour nous faire tomber...
La première se laissa tomber derrière elle.
Coralie se retrouva ceinturée fermement sans comprendre.
- Qu’est-ce que vous faites ?... Ca va pas, non ?...
La seconde abattit un mouchoir humide sur son visage, lui écrasant la tête sur la poitrine de sa sœur en lui bloquant les poignets de sa main libre.
La jeune fille hoqueta, aspirant les vapeurs sucrées qui lui brûlaient les lèvres, l’anesthésiant à chaque inspiration.
- Mmmhh... Mmmmhhh...
- Chuut... Breath... Breath...
Les poumons en feu, Coralie se concentra sur sa vue brouillée, les pieds raclant furieusement le sol, gémissante.
- Breath more... Breath... Good girl...
Les mains de la jeune fille retombèrent.
L’une des jumelles lui tapota les joues, s’assurant que ses réflexes étaient amoindris, avant de retirer le tampon asphyxiant.
Coralie se sentit soulevée par les aisselles, agrippée et tirée, ses chaussures râclant le gravier d’abord, puis la pelouse traversée d’un pas vif.
Le contact râpeux d’une moquette frottant sa joue.
Avant qu’elle ne sombre, inconsciente.
Ce fut le son de voix discutant à voix basse qu’elle perçut en premier, puis la sonnerie d’un portable accompagné de ses vibrations puissantes.
L’accent lui confirmant que les deux copies étaient suédoises.
Si elle était arrivée en Suède, cela voulait dire qu’elle avait dormi un sacré bon bout de temps...
Elle était aveuglée, un épais bandeau qui lui sembla de cuir noué sur la nuque, un foulard humide de salive lui sciant la mâchoire, terriblement inconfortable.
Un tambourinement lui vrillait le crâne, l’impression qu’une cathédrale entière de cloches sonnait dans son cerveau.
- Yeah ?...
Une voix fit vibrer le téléphone, lui parvenant, lointaine.
- No... Elle dormir encore, madame...
La fille prononçait « médème » avec son accent.
Si la situation n’aurait été aussi inquiétante, Coralie en aurait presque ri, tellement l’accent était caricatural.
Une quinte de toux la secoua, remuant sur une matière souple et élastique, traversée par le froid du sol.
Se rendit compte qu’elle se trouvait entièrement nue, parcourue d’un léger frisson.
Un crissement de tissu s’abaissant au ras de son visage précéda les gifles claquantes qui la firent grogner, précédent la question sèche :
- The Card ?... The memory-card ?... Where she‘s ?...
La seconde voix lui parvint de l’arrière :
- Je te tire le... Mouchoir... Toi hurler, je t’éclater le gueule, okay ?...
Coralie acquiesça d’un mouvement de tête, libérée aussi sec.
Le hurlement d’une voix cassée statufia les deux sœurs.
Avant la volée de gifles réduisant leur captive au silence.
Des mouches multicolores voltigeant dans les rétines et la peau des joues cuisantes, elle se le tint pour dit.
Poussa un cri, agrippée durement par les cheveux pour soulever la tête :
- La mémoire-card ! Ou tu caches ?... Tu veux fâcher Médème, hein ?...
Un pouffement répondit à la question.
Celle qui se trouvait le plus près lui ramena brutalement les poignets dans le dos. Une matière élastique et crissante coulissa autour de ses poignets, les liant fermement l’un sur l’autre, lui sciant la peau.
Des bandes de cuir souples enveloppèrent ses chevilles, entravées par une chaine cliquetant à chacun de ses mouvements furieux, tentant de se débattre.
Une nouvelle salve de gifles étouffa ses protestations.
- Shut-up, bitch !...
- Si je veux la siamoise !...
Un conciliabule étonné précéda un tapotement furieux de clavier tactile.
- Ah ! Siamoise !...
Le ton se fit doucereux et ironique :
- You like making jokes !...
La fille s’abaissa à son oreille, goguenarde :
- Le médème, elle adorer blaguer, too...
Elles se concertèrent rapidement d’un ton indécis, un bruit de talons ricochant en résonnant sur les murs.
Une voix féminine légèrement rauque et veloutée, inquisitrice, monta dans la pièce à l’odeur d’humidité :
- Alors ?... Elle a avoué ?...
Un « No » contrit lui répondit.
Coralie apprécia la paire de gifles ponctuant leur aveu.
Sèches et claquantes. Chacun son tour !...
La femme commanda d’un ordre sec :
- A genoux, incapables !...
La jeune fille poussa un cri surpris, éblouie par la lumière crue l’aveuglant lorsque le masque glissa sur sa peau, retiré brusquement.
Clignant des yeux, elle perçut une forme ombre, les yeux emplis de larme.
S’habitua lentement.
Sa geôle était une grande cave voutée en pierre, suintante d’humidité, éclairée d’un violent néon blanc.
Une paire de bottes s’avança à hauteur de son visage.
- Allons, Coralie... Cette carte, ou est-elle ?...
- Allez vous faire foutre !...
Un petit rire sarcastique lui répondit.
Le claquement de talons s’éloigna d’un demi-tour sec, la jeune fille suivant du regard les bottes recouvertes par le long manteau d’agneau souple et noir ou s’étendait une longue chevelure corbeau.
Un second demi-tour lui révéla le côté face.
Le visage long et anguleux au nez fin, légèrement retroussé, coupé par la ligne fine des lèvres serrées maquillées d’un rouge vif et brillant.
Son manteau ouvert révélait un corset étranglé sur la taille, décoré d’un lacis de chainettes dorées passant sous ses seins.
De fines lianes en cuir fin tirant haut des bas noirs sur ses longues jambes de nageuse olympique.
Coralie ne put soutenir longtemps le regard turquoise, un bleu lagon contrastant avec l’opulente chevelure noire, vrillé dans le sien.
La grande femme croisa les bras lentement, un sourire perfide éclairant son visage, avant qu’elle ne secoue négativement la tête de gauche à droite.
L’ordre tomba :
- Lavez-là !...
La jeune fille poussa un cri d’effroi, saisie par le jet d’eau glaciale l’éclaboussant, tétanisée.
Aspergée pendant un temps indéfinissable par un jet à haute pression.
- Nettoyez-bien derrière les oreilles, je vois encore de la crasse...
L’inconnue aux cheveux noirs claqua des doigts.
- Ça suffit !...
Elle considéra la petite chose tremblante, grelottante, secouée de frissons, se ramassant à ses pieds, un large rictus découvrant une dentition éclatante.
- Dois-je toujours me rendre chez les grecs, jeune fille ?...
Ses doigts claquèrent encore :
- Peignoir ! Séchez-là !...
Coralie n’osait plus lever les yeux sur elle, se laissant emmailloter et frictionner vigoureusement.
- Détachez-lui ses liens !...
L’ordre la fit jeter un bref regard aigu vers la porte grande ouverte, tandis que les suédoises la libéraient de ses entraves.
Dressée d’un mouvement douloureux, le bras ferme de la femme refermé sur sa taille l’empêcha de se lever,
le poing ganté de cuir noir provoquant une piqure vive dans sa carotide offerte.
- Tu vas te tenir tranquille, petite voleuse...
L’inconnue revissa tranquillement sa bague, escamotant l’aiguille fine dont elle l’avait piquée.
Coralie vacilla, ramenée contre le cuir luisant d'un geste ferme, glissa au ralenti en direction du sol, retenue par l’inconnue.
Les deux copies l’attrapèrent encore pour la trainer.
Les cheveux de la grande femme dansaient devant elle, les rétines brouillées par l’effet de l’anesthésiant.
Elle perçut une douce chaleur ambiante, à l’inverse du sol glacé sous ses pieds nus.
Fut échangée d’un corps à un autre.
Guerlain. Le parfum fruité émanant de la femme aux cheveux corbeaux qui la fit basculer dans ses bras.
- Cela ira. Vous pouvez disposer...
Quelques pas au rythme chaloupant de la marche, suivi d’un contact soyeux l’enveloppant à la manière d’un cocon réconfortant.
La voix douce effleura son oreille d’un souffle chaud :
- Je vais m’occuper de toi, fais-moi confiance...
A suivre...