Jeux de Liens

Je ne vous ai rien raconté ici encore. Je viens d'arriver.

Je ne vous ai donc pas raconté mon dernier Noël.

Noël, c'est la famille. Les enfants, les grands-parents, qu'on soit une poignée ou toute la tribu, ça reste très convenu. Presque tout le monde est super sympa, ce n'est pas la question, c'est juste la famille quoi. Même si on se dit tout, regardez bien, ça reste le simulacre. L'intimité n'est pas là. Il y a toujours un risque d'avoir un drame de famille, comme il y en a partout. Et puis ce grand écart entre les générations, ça pose aussi des limites.

La famille, on est lié, écartelé avec la bienséance. Je veux du lien, mais bien plus physique.

Cette année, je ne sais comment, nous avons réussi à nous débarrasser de cette joyeuse purge. Je ne vais donc pas vous donner la recette, je n'ai rien compris. C'est sûrement un des secrets de ma femme Lucie.

Sans famille, c'est sans les frèrs, soeurs, beaux-frères, père, belle-mère, etc. Vous aurez compris, je ne vais pas faire tout l'arbre généalogique. Mais c'est aussi sans les mioches, nos adorables et merveilleuses progénitures. Si c'était moi, ils auraient été enfermé dans le grenier. Mais il parait que ça ne se fait pas ! Donc go chez tonton, avec tous les cousins. Ce sera bonheur-land pour eux, aucune question n'a été posée, évidemment.

Noël sans famille, c'est pas Noël tout seul. Ce n'est pas non plus une petite soirée en amoureux avec Lucie. Bien sûr ma très chère est là. Et avec nous il y a les inséparables Luc et Jules. On s'amuse bien avec eux, mais c'est toujours trop court.

Cette fois, c'est chez nous. Tout est prêt à 14h, le 24 décembre. On aura le temps m'a assuré ma femme. Jusqu'au 25 fin de matinée j'imagine. Une seule consigne, le cadeau sera dans un emballage prédéfini. Un coffre dont on a eu le lien. C'est assez grand pour qu'on puisse y mettre pas mal de choses. Donc ça va, c'est pas juste une boite pour un simple bâillon. Et puis comme on va pas faire de folies comme s'offrir une cage humaine, c'est parfait. L'ambiance est géniale, c'est en bois, style coffre à trésor pirate. Il y a quatre fermetures à l'avant, de simple loquets, avec un arceau qu'on peut verrouiller avec un cadenas.

Quand j'ai appris ces consignes, j'ai compris qu'on allait avoir un cadeau surprise. Aucun moyen de différencier les coffres, il va falloir trouver un cadeau qui plaise pour chacun. Amusant, on va pouvoir faire des jeux intéressants.

En fait, avant que les cadeaux soient choisis, consigne supplémentaire : j'aurai les rouges. Des jolis cadenas sortis tout droit d'un musée de la marine, peints pour l'occasion. Les miens seront rouges. Chacun a sa couleur.

Pour les cadeaux, on a fait ça bien. Quatre groupes de trois, chacun a son cadeau idéal. Enfin idéal, on verra bien ! On s'est vraiment amusé à choisir. Et on s'est vraiment amusé à les découvrir.

Je vais vous raconter comment ça s'est passé.

14 heures, ou 14 heures 30, tout le monde est là. Facile quand il n'y a que deux invités. Et puis le fameux quart d'heure de politesse qui se transforme en demi-heure, on s'y fait. Ça me fait languir, ça me fait rager, je bous, mais c'est pas grave, nous allons passer un bon moment. Comment ne pas pardonner dans cette situation ? Et puis ce sont les fêtes.

Tous les petits plats sont prêts. Tout est au frigo. Pas de prise de tête avec la grosse cuisine. Les enfermements domestiques. La disparition du cuistot. Être séquestré par une cuisine. Être attaché à son fourneau. Être menoté par ces recettes si exigeantes. C'est du vol. Non merci, c'est moi le ravisseur de ma femme. Son coeur est à moi, c'est pas pour qu'il se fasse dérober par le Père Noël.

Luc et Jules ont bien suivi les consignes, chacun ramène le joli coffre surprise. Deux coffres identiques. On aide pour les déposer au milieu du salon, sous la table basse. On va jouer, pas la peine d'aller vers le sapin de Noël. C'est pour les enfants ces enfantillages. Nous sommes grands. Le coffre de Luc, avec ses quatres cadenas bien alignés, bien bleu roi, c'est pour elle. Il est plutôt léger. Plutôt normal au vu de son contenu surprise, que je connais évidemment. Mais l'autre coffre, c'est une autre paire de manches ! Il doit bien faire quinze kilos. Et vu son encombrement, il faut bien être deux pour le déplacer. Ces quatre cadenas rouge vermillon, c'est bien pour moi. Et oui, c'est une surprise. Pas moyen de savoir c'est quoi ce mystère avant l'heure. Je n'ai droit qu'à des grands sourires quand j'asticote tout le monde à ce propos.

Bon. Et pour les loulous. Il faut que je ramène aussi leurs boites. Pendant que madame entame une conversation banale, je suis envoyé au fond du jardin. En cette sombre journée d'hiver, je contemple nos arbres dépouillés. La pause hivernale, le repos de ces arbres immobiles, enracinés dans cette terre. Je leur imagine une âme, une âme suppliciée, condamné à l'immobilisme, à subir les éléments toute l'année. S'épanouir l'été, mais l'hiver être isolé, tout nu alors que c'est là qu'il fait s'y froid. Bref, la remise, le diable, les deux coffres, le vert, et le jaune. Je ramène tout ça tranquillement.

Tout est bien disposé. Je salive d'avance pour bosser petits jeux surprises. À quatre, nous debordons d'imagination. Sur la table, les seize clefs sont bien mise en évidence. Luc n'en peut plus, il se lance et prend une clef verte. C'était sans compter la maîtresse de maison qui l'interrompt et nous annonces que ça ne va pas être si simple. Nous allons mériter ces surprises. Elle sort un sac en toile de jute. Nous irons piocher ces clefs. Un peu de piment quand même. Elle prend bien les clefs une à une. Elle enlève le petit cache de couleur qui indiquait le propriétaire de chacune. Et pas dans le sac. Ces seize grosses clefs, ça fait du poids quand même. Et ça tinte bien.

Et puis, par le sac au milieu des quatre coffres. Grosse interrogation ! Qui commence alors ce petit jeu de hand in cap ? Eh bien personne ! Mort de rire ! Voilà qu'une minuterie fait son. apparition. Une alarme aléatoire.

Nous avons le temps.

Nous allons donc prendre le temps.

Et puis ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu. Donc pas de précipitation.

C'est excellent. C'est l'escape game pour s'enfermer. Le monde à l'envers...

C'est donc une petite après-midi tout à fait ordinaire finalement. Cette fin d'année est pour tout le monde difficile. Le stress au travail est là, pour chacun. Luc est un peu plus tranquille, mais ses projets pour l'année prochaine sont assez impressionnants.

Nous avons une bonne petite ambiance musicale. Des morceaux classiques, festifs, adaptés à cette veillée de Noël. Lucie commence à parler de ses petites galères. On est parti pour une demi-heure si elle se lance dans toute l'histoire ! Et là, "ding ding ding", la minuterie qui s'éclaire en rouge.

Je l'avais oubliée celle-là. Nous étions bien parti pour raconter notre vie pour toute l'après midi. Et elle sonne, sonne, pas d'arrêt. Lucie me dit que c'est moi le rouge. Je cogite. Et oui, les cadenas. Leurs couleurs. Le code. Le tour de rôle est donc donné par la minuterie. Je me lève donc, je réinitialise le minuteur. Je prend le sac en toile. Et c'est parti.

C'est absurde, mais je touille, je remue. Je force la chance. Ça ne sert à rien, c'est déjà mélangé. Les clefs sont toutes pareilles. Mais ça donne un peu de responsabilité, on va dire. Je me décide d'en saisir une. Je la sors. Je la brandis fièrement. Qui a dit bêtement ? Et c'est parti.

Je me tourne vers mon coffre. Je prend le cadenas de droite, et j'essaye la clef. Elle rentre dans la serrure, mais ça ne tourne pas. Cela aurait été trop beau, n'est-ce pas ? Il reste évidemment les trois autres. Je fais simple, j'essaie en allant à droite à chaque fois. Ce deuxième essai est plus simple, plus direct, la clef est trop grande, elle ne pénètre même pas dans l'orifice. Rebelote pour la troisième. Et c'est la que pour le dernier cadenas, ça rentre nickel, je tourne, ça bloque un chouia, je dois juste débloquer le mécanisme. Et non, c'est bien bloqué, c'est pas la bonne clef. Trop frustrant. Mais ça ne fait que commencer.

Je remet la clef dans le sac. Et c'est parti.

Cette pause nous a rappelé à l'ordre. Nous sommes là pour un bon moment. Il nous faut à boire, évidemment ! Ça va être un petit truc. Des petites bières de soif. C'est juste histoire d'avoir quelque chose dans le gosier. Nous irons chercher les choses sérieuses plus tard. Enfin, j'espère.

Pendant que je sers tout le monde, le minuteur sonne déjà, en vert. Luc se lance donc, lui qui était si pressé tout à l'heure. Il prend la clef direct, pas de chichi. Et il essaie le premier cadenas, le deuxième, le troisième, et clic ! Ça y est, un cadenas ouvert ! Il a de la chance lui.

Jules lui rappelle de relancer le minuteur. Et nous relançons les discussions bateaux. C'est un simulacre amusant. Nous en sommes venus à parler des enfants. Oh, juste un peu, car le minuteur qui s'était oublié la première fois, va sonner à peine cinq minutes après. Et il revient au rouge. J'en profite, je ne vais pas me plaindre.

Je fais le même cirque que tout à l'heure. Une jolie clef, qui ressemble à toutes les autres, évidemment. J'essaie le premier cadenas, en vain. Le deuxième, idem. Le troisième, rebelotte. Le quatrième, toujours raté ! Je n'ai pas de chance moi finalement ! Mais le minuteur sonne encore, et encore en rouge ! Cette fois, je remue pas, je fais surtout bien attention de ne pas prendre la clef juste au-dessus que je viens de remettre.

Je me dis que c'est la bonne. Que je vais ouvrir ce premier cadenas, au bout de ce troisième essai. La clef rentre, mais ne tourne pas d'un iota. Le deuxième cadenas lui sera plus conciliant. Et oui, la clef rentre nickel, et je tourne, et plic, déverrouillé. Gros cri de joie, juste pour un petit verrou qui s'en va. Nous sommes des grands gamins, n'est-ce pas ?

La discussion se relance. Et cette fois-ci l'horloge oublie notre jeu. Nous finissons la bière. Tout le monde est d'accord pour relancer la même chose. Et pendant que je vais au frigo, ça sonne. Ce n'est pas pour moi. Je leur dit de ne pas m'attendre. Quand je reviens, pas moyen de savoir ce qu'il s'est passé. J'insiste, je n'ai en réponse que des haussements d'épaules. Ils sont partis sur un peu de politique. Ici personne n'est militant, personne n'est engagé politiquement, mais comme tout le monde chacun a un avis sur ces responsabilités dont on aurait horreur d'avoir. Je sers tout le monde. Je les écoute. Nous sommes interrompu par le minuteur, avec la couleur de Luc, le vert. Pourquoi pas ? Le hasard produit des événements bien curieux. Luc ouvre nonchalamment avec cette nouvelle clef le dernier cadenas, qu'il a attaqué en premier.

– Ah, déjà deux clefs pour Luc. Bon ben j'installe l'étape deux, alors.

Lucie qui nous sors ça tranquillement, va au premier étage, on l'entend rentrer dans une pièce, et sortir peu après. Elle redescend. Un petit air mystérieux. Un petit sourire. Une main derrière le dos. Arrivée sur la scène, elle dévoile un sac ciré, de couleur noire. Et sans un mot elle l'ouvre. Il reçoit l'ancien sac en toile simple. Un sac dans un sac ? Elle l'attache avec les liens qui sont à chaque oeillet. Pratique, on ne va pas chercher l'ouverture du sac à l'aveugle. Les clefs ne vont pas se mélanger dans les deux sacs non plus. Et le petit tintement qui rythme notre rencontre, en bleu, ne nous permet pas de savoir ce qu'est cette étape deux. C'est chou blanc pour Lucie. Mais dès qu'elle remet la clef dans le sac et relance l'horloge, elle lance habilement une nouvelle discussion. Nous comprenons bien que nous n'en saurons pas plus.

L'après midi est bien sympathique. Il se passe une heure sans aucune interruption. Puis ensuite, après diverses indications du mécanisme pour un peu tout le monde, Lucie et Jules arrivent avoir chacun un cadenas ouvert. Nous ouvrons les amuses bouches, du petit sucré salé basique. Nous accompagnons cela des bières de Noël.

Luc en est à son sixième essai désormais. Tout le monde se plie au jeu, tout en évitant dans ces discussions à bâton rompu toute mention à ces jeux d'adulte consentant qui nous attendent. Et Luc ouvre son troisième cadenas.

– On peut dire que c'est la seconde mi-temps. Nous marchons sur des œufs ! Fred tu peux aller chercher une bâche s'il te plaît ?

Curieux, je ne cherche toutefois pas à comprendre. Dans le jour s'étiolant, je vais dans le garage chercher cet étrange accessoire. Au retour l'espace au centre du salon est dégagé. Je dois étaler cette bâche. Nous remettons chaque malle dans sa position d'origine. Et Lucie ouvre une grosse boite à œufs, pleine. Et chez chaque œuf est placé délicatement dans le sac.

Je comprends cette toile cirée. Rien ne va s'échapper du sac, sauf ce que nous allons en sortir évidemment. Les œufs sont entiers, pour l'instant, car malgré notre délicatesse, au vu du gabarit de ces clefs, il va y avoir de la casse. Mais bon, sortir nos mains de tout cela, ça va être joyeux. Nous n'allons rien salir, à part la bâche, mais elle sert à ça !

Nous devons nous rapprocher. Fini le canapé.

- On va accélérer un peu. On va arrêter de se faire languir. C'est quand même long, n'est-ce pas ? Donc fini le minuteur. Maintenant ça va juste être un tour de rôle, tout de suite après. Bon, qui est le prochain ? … Ah ! Bleu. Ah ben c'est moi.

Avec délicatesse, elle sort une clef, essaye, et est obligée de la remettre. Et maintenant c'est pour moi, je me fraie un chemin délicatement. Je prends une clef, j'espère que c'est la bonne. Ces coffres et ces quatre clefs à trouver, je trouvais ça plutôt très sympa au départ. C'est vraiment une introduction stimulante. Mais maintenant, si près de la fin, c'est surtout frustrant.

Oui.

Frustrant.

(Frustrant aussi à vous raconter, car je revis tout ça en même temps que je l'écris. Je pourrai passer plus vite. Mais déjà je vous épargne déjà toutes nos discussions, si ennuyeuses, si banales, ou alors si inaccessibles car concerne nos petites vies. Je pense que c'est important une introduction, la mise en scène est aussi importante que le moment thématique vécu en lui-même.)

Frustrant, mais je ne dois pas aller aussi vite, je dois réfléchir deux secondes. C'est frustrant, mais les clés du dessus, je les ai essayé, je dois aller au fond du sac. C'est logique. Tant pis, j'y vais, je plonge. Évidemment je casse ces œufs, mais de toute façon ils sont là pour être cassés. À moins que ce soit des œufs durs, n'est-ce pas ? Juste du bluff ? Elle en serait capable.

Des œufs durs ?

Non, c'est bien des œufs crus. Il y en a un qui bien parti. Bon je prend la clef du fond. Je m'en vais. Je vois bien ce jus visqueux dégouliner. Je le sens sur ma peau. Mais j'ai surtout la bonne clef. Celle qui va me permettre d'avancer.

J'ouvre donc le bon cadenas, qui s'adapte parfaitement à cette clef chère payée. Ou pas… Je rêve. Ce n'est pas celui-là.

C'est donc l'autre. Il n'en reste que deux. Si ce n'est pas lui, c'est l'autre. Évidemment. Ou pas… La clef ne rentre même pas dedans. C'est complètement n'importe quoi.

Bon, c'est le jeu. De toute façon on va forcément y arriver tous. C'est mécanique. Et puis on accélère. Plus de temps entre deux tirages. Je passe donc au suivant et lance le tirage suivant. Luc y passe. Luc qui a déjà trois cadenas. Luc qui a déclenché ce mode rapide mais aussi ce mode où Lucie a jouté des jeux avec la nourriture. Luc qui prend doucement une clef. Luc qui ressort sa main immaculé, absolument pas salie par ces œufs. Luc à qui il ne reste plus qu'un seul cadenas à tester, il n'a plus beaucoup de suspense. Il met la clef facilement. Il tourne doucement. Il s'arrête rapidement. Il n'enlève pas la clef, il n'est pas déçu. Il continue. Il va jusqu'au bout. Il déverrouille. Il enlève le cadenas.

Il exulte, et il peut voir le contenu de son coffre, que je connais évidemment.

Il ne voit que des chips polystyrène, et rien d'autre. C'est bien protégé. Il met la main dedans, fouille, ne trouve rien.

- C'est quoi cette arnaque ?

On hausse tous les épaules. On le laisse découvrir.

Il enlève tout. Petit à petit. Et finalement il vide tout. Il y a une enveloppe au fond, accrochée dans un porte document fixé sur la boite. Il sort l'enveloppe. Il ouvre enveloppe et découvre son contenu.

Il lit une fois. Il retourne le papier. Il le retourne aussitôt.

- C'est quoi cette arnaque ?

On lui explique. Il accepte de ronger son frein. (Je vous raconterai plus tard.) Et avant de s'écarter pour nous laisser continuer à trois, il va relancer un tirage sauf que Lucie l'interrompt :

- Nous avons le vainqueur de ce jeu. Luc tu vas pouvoir aller chercher le champagne, n'est-ce pas ?
- C'est quoi cette arnaque ? Il faut tout ouvrir pour finir. Tout le monde doit avoir sa surprise, non ? Vous n'êtes désireux d'en savoir plus ?
- Mais si, bien sûr, réplique Lucie à la phrase désormais favorite de Luc. Mais il faut fêter ça tout de même. On peut bien prendre un petit temps pour trinquer, non ? Ne t'inquiète, on reprend dès qu'on a trinqué.
- Bon vas-y Luc, tu vois bien qu'elle mène la danse. Et puis le champagne, je ne dis pas non…

Le champagne est au frais, c'était pas difficile à trouver. Les verres sont déjà sortis. Pas la peine de les chercher dans cette cuisine qui n'est pas la sienne. Son service est nickel.

Nous trinquons tous les quatre. Nous buvons chacun une gorgée. Et Lucie, décidément en vraie maitresse, de cérémonie, s'apprête à donner son feu vert.

- Dernière phase de cette découverte, nous y allons, après que Luc aura apporté un petit complément. Oui je le fais travailler, ce grand gagnant du jour. Tu as un bidon vert de deux litres sous l'évier, c'est pour nous. Luc se dirige vers la cuisine. Bon, on va rajouter un petit quelque chose dans le sac. Un de nous en est sorti à peu près indemne, mais j'ai décidé de rajouter pour cette dernière phase aucun risque qu'on y échappe. Oui, merci Jules de préparer notre sac. Fred, tu l'aides ? Bon. Pendant que vous faites la manipulation, je vous expliques : C'est le dernier round. À chaque tirage, on a la personne qui finit cette partie. Il retirera autant de clef que nécessaire.

Donc, fini le hasard. Mais le tirage nous oblige à subir plus ou moins le contenu du sac. Vu que le dernier aura forcément uniquement ses clefs dans le sac, ce sera le moins désagréable. Même si avoir tout de suite le tirage me permettra d'en finir, je préférai être le dernier. Surtout, je vois ce que verse Luc. Je vois mais je ne sais pas ce que c'est. On dirait du miel. Mais quelle idée d'avoir deux litres de miel juste pour ça ? Lucie nous dit que c'est juste du sirop, du sirop épais.

Je vois bien le délire maintenant. C'est bien une introduction à nos entraves dont nous nous servirons bientôt. Ce n'est pas une entrave totale. Ce ne sont pas des liens en cuir, ou en chanvre. Mais cette viscosité, pour aller chercher notre but, nous freinera, et restera aussi lorsqu'on sortira chaque clef. Ce n'est pas exactement élastique, ce n'est pas solide, c'est assez intéressant, une fois qu'on retire ce réflexe de dégoût.

Rouge.

Bon, ben c'est moi. J'avais deux cadenas restant. Bon, l'avantage que j'ai, c'est que je n'ai pas plus de clefs à aller chercher. Ça sera quand même vite fini. C'est quand même le comble, chercher toutes ces clefs, essayer tout cela avec toute cette mise en scène pour être attaché. Ce n'est pas le contraire d'habitude ?

Avec cette nouvelle et dernière étape, il y a quand même moins de stress. Avec tout se bazar dans le sac, j'y vais quand même doucement. Je tend les doigts, je descend doucement dans le sac. J'atteins le sirop. Il est à température ambiante, je sens le contact visqueux, mais je n'ai pas de frissons. Et comme j'y vais doucement, c'est presque agréable. Je sens le liquide d'abord jusqu'à l'ongle, je continue jusqu'aux deuxièmes phalanges. J'atteins quelque chose de dur. J'explore un peu. Pour cela je suis obligé de plonger entièrement les doigts. Le liquide enserre bien tous les doigts. C'est lourd tout cela. En sentant doucement la surface partout, je vois que c'est un œuf. Je poursuis donc très doucement vers le bas, sans pousser l'œuf. Ah, quand ma moitié de paume est envahi par la terrible viscosité, je sens clairement une clef. Je la prend doucement, je la glisse à côté de l'œuf que je viens de contourner. Maintenant que je lève le bras, je sens tout ce liquide tomber doucement. J'attends un peu, histoire que ça ne sorte pas non plus partout. Je compte jusqu'à dix, et je pars. Je vois encore tout ce qui reste sur mes mains, je continue néanmoins.

Avec cette clef, mais sans espoir, j'ai juste le temps et pas la pression, j'essaie le premier cadenas fermé. Et il s'ouvre direct. Pas un bruit. Je me maitrise. Je souffle. Je pose la clef. Et je vais en chercher une autre.

Un peu plus décidé, je pioche un peu plus vite. Je sens un œuf éclater alors que j'aurai pu faire comme tout à l'heure. Ma main s'enfonce plus loin. Je sens bien lorsque ce fameux sirop dépasse la trace de tout à l'heure. Mais je trouve bien vite une autre clef.

J'attends aussi dix secondes, avant de sortir complètement ma main. J'essaye le dernier cadenas qui me permet de sortir. Ce n'est pas lui. Je la pose à côté. Elle retournera avec ses copines. Pour mes deux autres camarades.

Troisième essai, j'essaie de prendre une clef au fond. Toute ma main est plongée, je sens bien la résistance de cette substance. J'avais mis d'abord mon poing, qui a cassé deux ou trois œufs à la suite, avant que j'ouvre ma main, et chope ce qu'il y a au fond. Je me force quand même à attendre dix secondes. Petit rituel pour éviter de trop précipiter la situation. Je ne sais pas si c'est utile, mais c'est important les rituels. Quand je sors, je ne vous explique pas comment est ma main. Ce mélange d'œuf, de coquille, de pate dégoulinante de manière plus ou moins fine. C'est assez bizarre. Cette troisième clef, pour cette dernière étape, je compte pas depuis le début, bloque aussi.

Je ne sais pas combien il reste de clefs. Je pourrais compter, il n'y a normalement que le nombre de cadenas encore fermés. Le mien, et ceux des deux autres coffres à ouvrir. Moins les clefs que j'ai déjà sorties. Je pourrais explorer le sac. Mais c'est tellement dur, résistant, qu'on ne sent rien de précis. C'est très désagréable. Il y a ce stress qui m'empêche de compter, qui me pousse à m'enfermer dans ces différents essais. Peut-être que j'ai mal essayé une clef, et peut-être que je cherche un sac vide. Je trouve quand même une clef. J'attends mes dix secondes pour faire évacuer une partie de ce bazar. Et c'est la bonne clef.

J'enlève bien le cadenas.

Je peux ouvrir enfin mon coffre.

Ma surprise de Noël.

Mais sale comme je suis, j'hésite. Je vais aller me laver les mains. C'est la moindre des choses. Surtout que ce qui m'attends sera mon équipement de la soirée, très certainement. Tout ce cirque pour les clefs et le cadenas, ça passe. Mais le contenu, on va le préserver. C'est d'ailleurs peut être pas évident à nettoyer. On me jette quelque chose à mes pieds.

- Met ça plutôt, qu'on découvre vite ton paquet, me sors Lucie. On se mettra au propre plus tard.

C'est bleu, ça ressemble à du plastique. On me donne un tas de plastique ? Mouais. Je prends le machin. Je vois des trucs bizarre. Ça a une forme. Je secoue un peu, et je commence à comprendre. Ce sont simplement des gants. Une bête paire de gants. Au lieu d'aller rapidement me laver, je vais m'enquiquiner à mettre des gants ? C'est encore un truc tordu en fait, car vite pour ces machins, j'ai jamais vu !

Mais bon, je vais faire plaisir, je ne suis plus à ça près maintenant. Trouver le pouce, enfiler chaque doigt, ne pas mettre deux doigts dans un même orifice, une fois que tout est en place, aller plus loin, jusqu'à ce que chaque extrémité de doigt touche le bout du gant, bien recouvrir la main, avoir l'élastique autour du poignet, c'est une sacré galère avec mon état. Et bien sur il y a deux gants, j'ai deux mains, je dois faire ça deux fois.

- Super, j'ai enfin mis ces gants, mais c'est toujours crade, vous trouvez pas ? Je commence à partager mon opinion, je pense bien que c'était une mauvaise idée.

- C'est juste une première couche. Tu peux mettre d'autres gants par dessus. Maintenant tu peux faire attention et pas tout salir, hein petit cochon ?

Je reçois d'autre gants, cette fois-ci de couleur jaune. Ils m'ont l'air d'être de la même taille. Mais j'arrive à les mettre. C'est serré. Avec tout ce bazar, il y a des grumeaux, des morceaux de coquille, bref, du relief, mais c'est propre.

Je contemple encore un peu tout ça, et je m'y met.

J'ouvre le coffre. Chaque loquet a bien été déverrouillé. Les cadenas sont retirés. Je saisis le couvercle, et je lève. Je ne vois que des petites billes. Rien d'autre. J'en enlève une. Juste en dessous, une plaque de bois. Le poids du coffre s'explique. Patiemment, j'enlève toutes les billes. J'ai bien compris qu'il y a d'autres niveaux. Au fur et à mesure, je vois deux lanières, qui me serviront à enlever la plaque. Pour éviter de tout renverser, sans savoir ce qu'il y a en dessous, je vois bien que je dois tout enlever. Je ne dis rien, je laisse tout le monde regarder. Je me rends compte que la musique a été coupée. Les billes roulent partout, je m'en fous un peu on va dire.

Bon, la plaque est enlevée. Et je vois encore des billes ! Ah, mais pas seulement ! À quelques endroits je distingue des morceaux de cuir. Il y a trop de billes pour que je puisse forcer et découvrir ce contenu qui a l'air d'être ce que je cherche depuis le début. Donc je poursuis de retirer ces billes. Mais cette fois-ci, pas la peine de tout enlever. Quand le gros est parti, je découvre l'objet, que je peux prendre sans soucis. Je vérifie, que j'ai bien tout, qu'il n'est pas attaché au coffre, que j'ai bien fini cette partie. Oui, pas de loup, pas de piège, cette partie est bien finie.

C'est un simple sac.

Un sac rempli, dont je découvre le contenu.

Il y a différents éléments, qui forment un ensemble bien sympathique.

Je suis bien content de cette surprise. Il va me falloir toutefois du temps pour que je me décide à jouer avec ça. Et en soit, en y regardant bien, c'est assez classique tout ça, même si dans la forme c'est spécial. Je sens que je vais pouvoir être bien bloqué avec tout ça. Et connaissant notre groupe, je ne vais pas juste porter ces accessoires sans aucun extra.

Je remercie tout le monde, et j'invite à passer à la suite.

- Mais la suite, c'est toi !
- Comment ? Il y a les deux autres coffres. Je vais voir ce qu'il y a, et après on verra !
- Mais non, chacun son tour !
- Mais il me faut du temps pour apprivoiser ce cadeau…
- Ben prend ton temps.

Et la musique revient.

Et je vois que je n'aurai pas le dernier mot.

Je réfléchis calmement. Il n'y a que trois accessoires principaux. Ça ira vite.

Surement.