Question intéressante et complexe que tu poses là… Avec autant de variables que de personnes sans doute, mais peut-être peut-on essayer de dégager des lignes directrices.
Je préfère prévenir avant d’ouvrir le feu ; je vais aligner les références (en Psychologie surtout) – j’espère ne pas faire fuir les lecteurs de ces quelques lignes… Désolé également si ça part dans tous les sens, parfois en s’éloignant peut-être de la question initiale.
Partons du principe que nous sommes tous de bons névrosés ; en somme, nous avons des désirs, un inconscient à l’œuvre, des refoulements, et toute la clique qui va avec.
Quitte à opter pour du freudisme pur et simple (naïf même – je l’accorde), la majorité de nos actes sont une émanation directe de notre libido (au sens premier du terme : une énergie que l’on va dépenser – en grande partie à teneur initialement sexuelle, toujours selon ce brave Sigmund).
A ce titre, les jeux de liens n’en sont qu’une maigre parcelle. Parcelle intrigante, comme tu le signales, Karamel, du fait de ces différents niveaux de « lecture » : innocent ou d’ordre ouvertement sexuel.
Là où le bondage pose problème, c’est – arrêtez-moi si je me trompe – que, contrairement aux fantasmes ou aux fétichismes, il peut exister par lui-même, pour lui-même.
En effet, nous serons d’accord pour dire que, fantasme ou fétichisme, ceux-ci sont des agréments à une pratique ou à un désir d’ordre sexuel direct (immédiat ou retardé, mais toujours direct).
A l’inverse donc, les jeux de ligotage peuvent se contenter d’une simple valeur esthétique ou sensorielle et s’arrêter là (on pourrait parler d’un stade intermédiaire entre les deux versions que tu décris Karamel dans le sens où il n’y a pas de nécessité sexuelle ni de naïveté enfantine non plus). On apprécie la sensation, ou bien on apprécie la représentation de l’acte (sur une autre personne, sur nous-mêmes, etc.).
Finalement, les jeux enfantins sont plus l’expression de l’imaginaire, de l’aventureux – du jeu à proprement parler. Ils excitent plus l’esprit que le corps.
Le jeu sexuel (l’idée de « jeu » demeure néanmoins) en exprime finalement l’autre versant : le corps. La sensation avant tout.
Pour revenir à Freud, on en vient à un rapport basique de dominant/dominé lorsque nous sommes actifs dans le jeu (nous sommes bien d’accord qu’il n’y a aucune connotation sado-masochiste derrière le vocabulaire de « dominant/dominé »).
Le but principal est l’inhibition de soi ou de l’autre. Bloquer, limiter, pour amplifier le ressenti. De la même façon que je vais bloquer les bras du partenaire pendant que je lèche son lobe d’oreille afin de multiplier son ressenti en l’empêchant de compenser (par exemple), de la même façon je limite les sens de la personne qui se retrouve soumise au ligotage. Des cinq sens, jusqu’à trois sont mobilisés – ou plutôt immobilisés : le toucher d’abord (les liens), la vue (yeux bandés), le goût (bâillon – qui empêche le contact des lèvres dans le cadre de l’acte sexuel).
Forcément, les sens restants sont amplifiés, et le toucher prend une autre dimension : soit notre toucher est limité à ce qui nous est accessible ou possible de faire, soit il est soumis à ce que l’autre (le dominant) nous transmet.
A mon sens, le ligotage est d’abord un jeu sensoriel.
Pour en revenir à ta question initiale, la divergence majeure s’impose ici : savoir si l’acte prend place d’abord pour ressentir (version enfantine) ou pour recevoir (version adulte).
Après forcément, le genre (désolé, j’avais prévenu que j’embêterai avec mon développement ; je suis obligé de tomber dans le terme anthropologique pour bien diviser l’idée de sexe en tant qu’élément de la libido et celui de sexe au sens d’homme et de femme – c’est-à-dire le « genre ») entre en jeu. Quand tu parles de l’action des hormones au milieu, un homme sera bien entendu plus sensible à l’excitation qu’une femme au travers de son corps.
J’ai tendance à croire que finalement, le niveau sexuel n’est qu’une évolution du premier niveau, au sens où l’on recherche la même chose à la base : la sensation (par le corps ou l’esprit).
Il y a aussi ce désir inhérent qu’a l’individu de vouloir se départir de sa responsabilité, ou au contraire de l’exercer. J’exerce mon pouvoir de dominant (sous toutes ses variables : protecteur ou agressif selon le jeu/contexte/désir) sur l’autre, ou bien je me départis au contraire de moi-même ; l’autre prenant la charge de s’occuper de mon corps, de mon être, de me faire subir/sentir/ressentir/...
J’existe par lui, ou il existe par moi.
Si je pousse encore plus loin l’idée – et pour rester chez Freud –, il y aurait un désir maternel dans cette mise en scène d’une interdépendance entre les deux actants (ou faute d’avoir un(e) partenaire, une tentative de l’exprimer sur soi)… Mais à trop pousser dans cette voie-là on tomberait sur des idées freudiennes trop schématiques (expression de l’inconscient infantile, désir caché de la mère, pseudo-complexe d’Œdipe à connotation sexuelle directe et j’en passe).
[Voilà ; en espérant ne pas avoir été gonflant avec tout ce baratin qui s'éloigne peut-être un brin de la question initiale...
Mais bon, Karamel, tu l'as écrit toi-même : la section est faite pour faire rugir les méninges
]